De sable (1)
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Jorge Luis Borges écrit (1) s’être un jour écarté de son monde pour ne plus quitter un livre acquis auprès d’un inconnu. L’ouvrage qu’il détaille s’apparente pour beaucoup à une bible de par son volume, son façonnage et sa typographie, mais les caractères étrangers et les illustrations sommaires ne semblent d’aucune religion. Il remarque que les nombres de pagination se composent variablement d’un à huit chiffres d’une page à l’autre. Jamais l’homme ne put saisir la première ni la dernière page, inlassablement des feuillets intermédiaires s’offrirent à ses doigts. Jamais non plus il ne put retrouver une page préalablement observée, chaque fermeture du livre condamnant ce qui était, chaque ouverture donnant naissance à de nouvelles formes et à de nouvelles compositions. Des écrits, des illustrations, des pages entières apparurent pour ensuite s’évanouir. Son carnet vouté sous le poids de ses notes autant que son corps devant le vertige, Borges se perdit dans les plis, les variations et les manquements. L’ouvrage par le passé a pu être nommé Livre de sable, parce que comme le sable il n’a ni commencement ni fin, parce que comme le sable il est capable d’ensevelir dans sa mouvance. Son précédent propriétaire l’appelait Livre des livres, suggérant que dans son infinitude il rassemblerait tous les ouvrages. L’écrivain se résigna finalement à l’abandonner au hasard de la forêt de livres d’une bibliothèque, à l’endroit que sa main eut trouvé et que son regard ne retiendrait pas. Ce n’était pas tout à fait une fin, pas tout à fait une mort, c’était une attente. Un livre en attente, abandonné là où il pourrait être trouvé, là où il pourrait réapparaitre. Un livre contenant les lignes de tous les horizons abandonné dans un horizon de lignes.

(1) Le livre de sable (El libro de arena) – Jorge Luis Borges


Valley of the Shadow – Twilight Zone, episode 3, saison 4